750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal d'un passionné de la rive droite
27 avril 2021

Analyse du recueil Le Vin, de Baudelaire : La Cène et la Religion Partie 3

Historiquement la première transsubstantiation est celle de la Cène : la substance du vin devient le sang du Christ. Baudelaire s'est il aussi inspiré de cette alchimie ?

Baudelaire a suscité de nombreuses interrogations quant à sa croyance et plus spécifiquement quant à son catholicisme. Les opinions sont assez divergentes pour juger celui qui se réclamait du satanisme et qui cependant faisait sa prière tous les soirs.

 

Quoi qu'il en soit, il y a croyance. Dans Hygiène, la troisième partie de son Journal Intime, il écrit : «  – Une sagesse abrégée. Toilette, prière, travail.

Prière : charité, sagesse et force.

  • Sans la charité, je ne suis qu'une cymbale retentissante.

  • Mes humiliations ont été des grâces de Dieu. 1»

     

et,

« Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs ; les prier de me communiquer la force nécessaire pour accomplir tous mes devoirs, et d'octroyer à ma mère une vie assez longue pour jouir de ma transformation ; travailler toute la journée, ou du moins tant que mes forces me le permettront ; me fier à Dieu, c'est-à-dire à la Justice même, pour la réussite de mes projets ; faire tous les soirs une nouvelle prière, pour demander à Dieu la vie et la force pour ma mère et pour moi... 2»

Rappelons également que l'auteur a bénéficié d'une éducation pieuse. Sa mère était profondément attachée aux rituels catholiques, et son père était un « jureur » de la République, c'est à dire un membre du clergé qui a accepté de prêter serment à la République à La Révolution.

 

Le sang du Christ, le vin, est « le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. », lit-on dans les récits de l'Eucharistie. Baudelaire a fait sienne cette transmutation, et le vin offre aux amants la fuite vers « le Paradis de mes rêves3 », au solitaire des amis « triomphants et semblables aux Dieux4 », et surtout à l'assassin la rédemption de son crime.

« Me voilà libre et solitaire

Je serai ce soir ivre mort

Alors sans peur et sans remords

Je me coucherai sur la terre »5

 

Cet assassin est tellement certain de sa réconciliation avec Dieu qu'il ne le craint plus, il est en confiance et de la façon dont il peut mourir, il s' « en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table ! 6». La dernière strophe du poème Le Vin de l'Assassin peut paraître blasphématoire, certes, mais elle décrit justement l'état d'esprit de celui qui n'étant plus dans la crainte de Dieu, parce qu'il s'est assis à la table du Christ, est en droit de combattre le Mal. C'est rigoureusement cette même sentence qu'on peut lire dans la dernière strophe du Vin des Chiffonniers7

« Pour noyer la rancœur et bercer l'indolence

De tous les vieux maudits qui meurent en silence,

Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;

L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil ! »

 

Et le vin dans toute cette alchimie inspiratrice ?

 

Dans le processus créatif, une des phases préliminaires de l'alchimie est l’Oeuvre au noir, c'est-à-dire la calcination et l'utilisation du soufre, comme élément chimique pour dissoudre certains métaux. Baudelaire côtoie donc au cours de ce processus de révélation, et dans l'objectif d'une transmutation du profane au Sacré, le mal sous toutes ses formes – la corruption - qu'il va alors tenter de sublimer.

Le chiffonnier vit dans un « labyrinthe fangeux »8, ( celui de La Divine Comédie de Dante?) au milieu « de gens éreintés et pliant sous un tas de débris »9, l'assassin s'adresse à ses comparses « ivrognes stupides »10 dans « leurs nuits morbides »11, leur explique que sa vie conjugale n'a été que « noirs enchantements », un « cortège infernal d'alarmes », des « fioles de poison, [des] larmes, [des] bruits de chaine et d'ossement »12.

Baudelaire accède alors à l'Oeuvre au rouge, que les alchimistes placent sous le signe du Soleil. C'est la dernière étape du Grand Oeuvre, celle de l'extraction de la poudre de la pierre philosophale. Chez Baudelaire, le Vin entre dans la composition de cette substance philosophale. Dans L'Âme du Vin, la bouteille rappelle qu'elle est ornée « de cires vermeilles », et dans Le Vin des Chiffonniers, « le vin roule de l'or », et il est le « fils sacré du Soleil ».

 

 

 

La fabrique poétique de Baudelaire est une alchimie du bonheur capable de consoler et transformer le cœur du malheureux, du solitaire, des amants ou des assassins, capable de les ressourcer, de les guérir, capable de les réconcilier avec Dieu. Alors ils ne sont plus les démunis et les laissé-pour-compte, mais des anges, des Roi et des héros épiques terrassant les démons de Paris.

 

Le vin apparaît bien comme une boisson philosophale. Baudelaire l'envisage de façon poétique, gaie.

 


Nous sommes loin, très loin des regards tristes de Degas.

 

Pour Baudelaire, le vin est une boisson philosophale ou un elixir pour l'ivresse féconde d'images paradisiaques. Dans Moesta et Errabunda, poème 55 de la partie Spleen et Idéal, le vin coule à flot dans « le vert paradis des amours enfantines ».

 

Qu'on ne s'y méprenne pas ! Baudelaire n'abusait nullement du vin ! Il l'appréciait en dégustateur et hélas, un raccourci trompeur, celui qui consiste à associer chez le poète consommation de vin et de haschisch simplement parce qu'il les a décrits conjointement dans son poème en prose Les Paradis Artificiels, a participé d'un amalgame malheureux entre le vin et la drogue. Or, autant Baudelaire encense les vertus du vin, autant il met en garde contre l'usage du haschisch. « Je l’ai dit, le haschisch est impropre à l’action. Il ne console pas comme le vin ; » écrit il dans la partie IV des Paradis artificiels, et plus explicitement dans la partie III : « Je montrerai les inconvénients du haschisch, dont le moindre, malgré les trésors de bienveillance inconnus qu’il fait germer en apparence dans le cœur, ou plutôt dans le cerveau de l’homme, dont le moindre défaut, dis-je, est d’être antisocial, tandis que le vin est profondément humain, et j’oserais presque dire homme d’action. »

 

Enfin, une dernière petite note pleine d'humour : « J’ai souvent pensé que si Jésus-Christ paraissait aujourd’hui sur le banc des accusés, il se trouverait quelque procureur qui démontrerait que son cas est aggravé par la récidive. Quant au vin, il récidive tous les jours. Tous les jours il répète ses bienfaits. C’est sans doute ce qui explique l’acharnement des moralistes contre lui. Quand je dis moralistes, j’entends pseudo-moralistes pharisiens. » A bon entendeur²² !

 

 

739877

 

1Partie IV

2Ibidem note 8, à noter que l'évocation de Satan peut donc être chez le poète une simple provocation ; Satan est tout naturellement pour les catholiques une symbolique incarnant l'idée du Mal et celle du libre arbitre de l'homme face à la tentation.

3Le Vin des Amants, poésie 97 de l'édition de 1857

4Ibidem note 3

5Le Vin de l'Assassin, poésie 95 de l'édition de 1857

6Ibidem note 12

7Le Vin des Chiffonniers, poésie 94 de l'édition de 1857

8Note 14

9Ibidem note 14

10Ibidem note 12

11Ibidem note 12

12Ibidem note 12

Publicité
Commentaires
I
Oui! merci...
Répondre
P
et l'utilisation du soufre, entre autreS élémenS chimiqueS
Répondre
Publicité
Archives
Publicité