Rencontre avec Emmanuel Giboulot (5)
Q : L’approche bourguignonne une référence pour le bordelais ?
Je ne sais pas bien…
Mais les bordelais ont une approche très différente, la notion de terroir n’a pas la même place que chez nous. Ils sont une approche très différente de la vigne et de la viticulture. Eux, travaillent à partir de différents cépages. Mais, en même temps je trouve que c’est bien, car si toutes les régions de France ou de Navarre travaillaient toutes à partir d’un seul et même cépage, ou étaient toutes en monocépage, on se priverait de choses très intéressantes à travers ce qui est proposé à travers certains cépages.
Ce qui manque peut-être (mais ils sont en train de bouger un peu) c’est l’approche sol ! Pour moi, ils ont cet aspect à développer. Il y a quelques années on taxait la biodynamie de dogmatique, elle l’est sûrement encore à certains égards mais la réalité de notre environnement, quelle est-elle ? Pollution de l’eau ! de l’air ! - on croit que tout va dans le sol, mais une partie est dans l’atmosphère, et il véhicule énormément de molécules de toutes sortes. Vous, vous êtes dans votre petit pré carré bio, vous avez fait un certain nombre de choses, en essayant de vous protéger, ben… quand il pleut, on se récupère des tas d’éléments, comme les autres. La plante respire comme on respire et elle se récupère ces éléments !
On est citoyens du monde ! Comme les utilisateurs de produits qui sont eux aussi citoyens du monde. C’est un problème de conscience et d’hommes car on se réfugie pendant des années et des générations, derrière le principe qu’on ne peut plus faire autrement, que le Ministère de l’Agriculture a donné un agrément à tel ou tel produit, considéré sans danger, pour se rendre compte des années après qu’il n’était pas si sans danger que cela. Il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités !
Q : Parce que je crois que c’est une philosophie qui a présidé à votre collectivité !
Oui, car on a eu envie de partager, d’être en relation avec les autres, de ne pas être coupé car je me rappelle étant gamin avoir vu mon père, isolé, mis au ban de la société agricole, paysanne, et même de sa famille, car il est celui qui a cassé un « truc » ascendant. Et c’était celui qui était toujours en avance sur les autres, en matière de progrès et de culture intensive, et c’est lui qui a tout foutu en l’air ! En général, ce qui dérange chez les gens chez les autres, c’est la différence…
Tant que vous faites comme tout le monde, vous êtes critiqué mais pas trop. Si vous ne faites pas comme les autres, c’est terriblement déstabilisant pour ceux qui restent. Beaucoup de gens sont conscients qu’il faut chercher autre chose. Mais il est vrai que c’est difficile de franchir le pas. Car il y a beaucoup de pressions, des pressions économiques, même pour des domaines qui marchent bien. C’est quand même un engagement, qui a ses lourdes responsabilités.
Q : C’est courageux…
Je ne sais pas si c’est courageux pour moi, car je n’imaginais pas faire autre chose, moi je suis de la deuxième génération et je ne fais que suivre…
Q : Oui, mais vous vous sentez dépositaire d’un héritage, d’une terre, et cela implique nécessairement dans ses choix, des obligations. A mes yeux, certainement plus courageux de poursuivre un tel cheminement comme vous le faites, que de racheter une terre par rapport à laquelle on ne sent pas le devoir du respect des siens…Il y a moins d’engagement. Dans le cadre d’un rachat de terre, si l’on fait erreur, on change de trajectoire, point. Non, pour vous, cette terre, un lourd tribut d’être ainsi dépositoire d’un tel héritage…
Oui, mais vous connaissez la formule : « on n’est pas propriétaire de la terre, on l’emprunte à ses enfants ». Si l’on a en mémoire cette référence, ça veut dire ce que ça veut dire !
En cinquante ou soixante dix ans on a fait un désastre, et c’est énorme ce que l’on a détruit à l’échelle planétaire !
Q : Ca fait froid dans le dos !
Quels sont vos recours en cas de risques phytosanitaires ?
La pratique agricole nécessite un ensemble de process tout au long de l’année pour commencer à voir un résultat.
La biodynamie c’est encore pire. Si en agriculture, on voit tout de suite ce qu’on a fait, avec la biodynamie, rien n’est tout de suite évident ! Vous allez choisir certain jour pour faire telle ou telle action plutôt que tel autre jour, et la lecture n’est pas si évidente que cela. Quand vous faites des préparations avec 4g de silice par ha, on voit mais pas toujours. Quand vous faites une préparation à base de poudre de corne, on n’a pas une lecture très rapide. Donc on s’investit dans une logique globale et après on commence à voir poindre certaines manifestations ou réactions au bout de trois ou quatre ans. Dans l’approche globale, on est obligé d’avoir cette discipline : on raisonne de façon complète mais on ne fait pas du cas par cas. On ne répond pas à un problème à chaque fois. On a un raisonnement global, on le met en œuvre le mieux possible et puis on en espère un résultat dans quelques années. C’est déjà quand même un engagement de longue haleine l’approche bio. Cela dit, pour moi la biodynamie, ce n’est pas une fin en soi. Aujourd’hui, depuis 1996, je travaille de façon complète en biodynamie, mais pour moi ça ne s’arrête pas là
J’aurais une anecdote !-puisque l’on parle de phytosanitaire…
Quand mon père a commencé en 1970, dans sa vigne, les araignées rouges, bien qu’il n’utilisait pas d’insecticide, n’étaient pas particulièrement présentes. Un jour, un voisin, et ami, lui dit : « nous, depuis qu’on traite les araignées rouges, elles reviennent chaque année et on est obligé de traiter systématiquement ».
Un institut en Suisse, l’Institut de Changins, en 75a fait une publication sur les équilibres de ces araignées rouges et avaient démontré que (microscopiques) il existait un prédateur : et les insecticides qui tuaient les araignées rouges tuaient aussi les prédateurs.
Il a donc fallu quinze ans pour que cette nouvelle information scientifique commence à être prise en compte dans le vignoble.
Fin des années 80, moi, j’ai participé - en tant que jeune vigneron avec ITV et la protection des végétaux , j’ai participé à la mise en place de ce qu’on appelait à l’époque de différentes plateformes de lutte raisonnée où dans les différentes parcelles de la commune de la Côte viticole et de la Côte de Beaune, des vignerons venaient plusieurs fois dans la saison, encadrés par des techniciens et où on leur montrait que au-delà d’un certain seuil de présence de forme mobile (les araignées rouges) seulement on pouvait entreprendre une traitement, mais bien spécifique qui ne pouvait tuer les prédateurs.
Les gens se sont rendu compte que l’on pouvait rétablir un équilibre en ayant une explication cohérente et en étant rassuré et en préservant l’environnement.
Isabelle